ELLE ÉLÈVE DES POUX SANS TABOUS
Dans son laboratoire, Catherine Combescot-Lang étudie le comportement des poux de deux sortes, ceux de tête et ceux de corps.
Sous la lumière clinique d'un néon, des dessins d'enfants : des poux, en libre interprétation, des roses, des bleus, des rigolards. Et puis les remerciements d'une école maternelle. Une paillasse en carrelage blanc, un microscope au garde-à-vous. Moins de 15 m2, au fond de la fac de pharmacie de Tours. Nous sommes dans un des trois ou quatre laboratoires au monde qui élève des poux.
« C'est ici que ça se passe », dit Berthine Toubaté, ingénieure de recherche, en montrant le coin où s'empilent trois étuves. L'une affiche 28°C, « la température où ils vivent normalement. Je les nourris le matin avec du sang de lapin ». Avant le week-end, ils sont placés dans l'étuve à 24°C, température qui ralentit leur métabolisme et leur permet de ne pas manger pendant deux jours. L'étuve du haut, à 34°C, sert aux éclosions.
« Ils », ce sont des poux, environ 10 000, conservés vivants dans des boîtes de Petri, ces boîtes rondes et plates utilisées en microbiologie. Des milliers de poux « qui passent le plus clair de leur temps à copuler dès qu'ils ont plus de 18 jours », lâche nonchalamment Berthine Toubaté. La majorité sont des poux de corps, élevés sur du tissu. On trouve aussi quelques poux de tête, accrochés à un cheveu ou deux, mais ils ne survivent pas longtemps loin d'une zone capillaire humaine et « franchement, je ne suis pas candidate à les cultiver sur moi », rigole Catherine Combescot-Lang.
Elle est la patronne du labo, 62 ans, tignasse frisée sympathique, « bavarde » toujours en mouvement. Une des trente scientifiques au monde spécialistes de cet insecte. Du pou, elle connaît le mode de vie, le cycle de reproduction, le degré de résistance. Elle peut affirmer, pour avoir étudié leurs enzymes et leurs chromosomes, que poux de corps et poux de tête présentent les mêmes caractéristiques. Les premiers, élevés au laboratoire, sont plus résistants que les seconds. Ils servent donc avantageusement à différents tests. Elle n'a pas fini la comparaison génétique des deux espèces : « Pas le temps, déjà, je ne dors presque plus ! » Elle répond aux sollicitations des industriels, écoles, particuliers, entre les enseignements qu'elle donne à l'université. En ce moment, elle compare l'efficacité de vingt produits anti-poux courants. Ses résultats sont très attendus...
Car le pou est devenu un phénomène de société. « Toute la journée, des gens m'appellent : « C'est horrible, comment m'en débarrasser ? » Dans un repas mondain ou dans le train, le sujet attise les questions. Parce que tout le monde a des problèmes de poux, que l'on soit PDG ou employé. » Bête noire des cours de récré, le pou intéresse. Le pou interpelle. Quelques spécimens suffisent en France à déclencher des phobies, « alors que dans de nombreux pays, plus de la moitié des gosses en ont, et parfois vingt à cent à chaque coup de peigne ! ». Chez nous, il fait pleurer les enfants : « Pour certains, c'est un drame. » L'autre jour, « on a traité mon fils de pouilleux », lui a confié une mère désespérée. Le pou reste tabou.
C'est même une vraie question sociale, pense la chercheuse. « On ne peut pas travailler sur les poux sans travailler sur ce qu'il y a autour », affirme-t-elle en servant un café-gâteaux sur une table haute coincée entre son bureau et celui de Berthine. Elle file à son ordinateur : des courbes montrent la chute considérable de la pédiculose à Tours, 22 % des élèves dans les années 1990 à 3 % aujourd'hui. Remarquable. Mais parmi les enfants atteints, elle a fait ce constat : « Certaines catégories sociales plutôt favorisées ont passagèrement des poux, mais ne les gardent pas, alors que d'autres généralement défavorisées, les gardent. »
Rien à voir avec l'hygiène. Qu'on se le tienne pour dit, le pou ne préfère pas les cheveux sales. C'est autre chose : « Qu'est-ce que quelques poux dans la chevelure d'un enfant par rapport au chômage chronique, à l'instabilité du ménage accablé de tracas multiples, entraînant des soucis d'argent ? » Les produits anti-poux coûtent cher, entre 12 et 17 € le flacon. Et comme la plupart des lotions ne tuent plus les lentes (oeufs), il faut trois applications, à une semaine d'intervalle, pour toute la famille, même nombreuse. Les poux creusent l'exclusion...
C'est d'ailleurs pour éviter une stigmatisation grandissante que Tours a décidé d'agir en 1985 : « Des parents menaçaient d'enlever leurs enfants de l'école si tel élève avait encore des poux », se souvient Jean-Pierre Cheneveau, inspecteur au service d'hygiène de la ville. Un programme d'observation des élèves a été développé depuis : une à trois visites par an, des réunions pour dédramatiser le sujet et même une « fête des poux ». Cette politique, exceptionnelle, profite de la proximité du laboratoire de recherche de Catherine Combescot-Lang.
« J'ai commencé mon élevage, vers 1992, dans le service de mon mari, peu avant sa retraite. Charles Combescot était professeur en parasitologie, le spécialiste des poux en France. » Au microscope, Berthine « chatouille le ventre » de quelques bébêtes, histoire de voir si elles vivent encore. Catherine reprend : « J'avais un faible pour les invertébrés, notamment les mollusques marins. » Mais Charles a ramené sur terre cette fille de biologistes, étudiante à Orsay, dont il a fait son assistante à Tours. Aujourd'hui, elle porte son labo à bout de bras. Que deviendra-t-il à sa retraite, dans deux ans ? Elle ne le sait pas. Le pou intéresse. Mais il ne paie pas toujours.
Claire THÉVENOUX.